Mémorial

‘Mémorial’ était pour moi une nécessité, comme un triple prétexte.
Prétexte à une exploration des vastes possibilités de jeux de timbres inédits en associant les divers genres d’instruments qui composent l’ensemble, d’une part, et en articulant d’autre part cette recherche autour de l’idée de « dialogue » (d’où les couples d’instruments : deux bois, deux cordes, deux chanteurs, harpe et célesta, et deux percussionnistes, le timbalier ayant un rôle d’électron libre, de déstabilisateur).
Prétexte aussi  à une refonte de mon propre mode de pensée, et plus particulièrement de composition. Il me semblait en effet crucial de dépasser le stade d’une conception formelle linéaire, voire arbitraire, telle que je la pratiquais dans mes pièces antérieures, pour chercher un cadre qui fasse réellement corps avec le matériau musical de départ, qui soit comme une nécessité organique imposée par l’idée musicale elle-même –ainsi que par l’argument littéraire. Ce point explique la durée et l’effort que m’a coûtée la genèse de cette pièce.
Prétexte enfin à un hommage, tant littéraire que musical, à un épisode sombre de notre passé commun, la déportation pendant la guerre de 1939-45, en prenant pour base le dernier poème, reproduit ci-dessous, de Robert DESNOS (1900-1945) poète français mort au camp de concentration de Theresienstadt en Tchécoslovaquie. L’œuvre est par ailleurs dédiée à mon grand-père, lui même déporté en 1944 au camp de Buchenwald.
 
J'ai tellement rêvé de toi
J'ai tellement marché, tellement parlé,
Tellement aimé ton ombre,
Qu'il ne me reste plus rien de toi,
Il me reste d'être l'ombre parmi les ombres,
D'être cent fois plus ombre que l'ombre,
D'être l'ombre qui viendra et reviendra
Dans ta vie ensoleillée.

Robert DESNOS, 1945