Mogari
composé en 2019 - 2021, révision en 2022
ISMN : 979-0-2325-6384-8
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Dans le japon ancestral, le terme MOGARI (殯) désigne l’ensemble des rites funéraires avant la généralisation du bouddhisme au VII ème siècle. « Mo » évoque la douleur, l’affliction, et comporte aussi la dimension temporelle de la durée du deuil. Il est parfois employé pour désigner le cortège funèbre. « Gari » évoque plutôt un lieu; et de fait le terme « mogari no miya », parfois contracté en « Moya » désigne l’emplacement du corps défunt, une construction éphémère destinée à accueillir le corps le temps du recueillement et des cérémonies. On trouve aussi très souvent un autre sens au mot verbal « Mogaru », de la même famille, avec le sens de « résister », tenir tête, se dresser contre la fatalité.
Dans le Mogari traditionnel, d'une organisation très complexe et qui a évolué durant les nombreuses ères du Japon ancestral, des épisodes très définis alternaient entre le moment de la mort et celui de la mise en terre. Ces épisodes se déroulaient également dans des lieux différents, accompagnant à la fois le parcours physique du corps dans l'espace, mais aussi le cheminement de l'âme du défunt du monde des vivant à celui des esprits.
Ce voyage spirituel et initiatique est ici transposé dans le domaine musical, pour tenter d’évoquer notre rapport au monde et à ses mutations actuelles, la recherche d’un équilibre fragile entre culture et nature, questionner sur notre humanité et notre rapport à la fin. En cela, l’usage d’instruments traditionnels modifiés ou augmentés par l’électronique prend tout son sens. Les instruments à vent sont transformés en direct et diffusés proche du corps. La timbale est un instrument « augmenté » comportant un dispositif qui capte le jeu du percussionniste et transforme en direct des sons ré-injectés via des vibreurs, sur la membrane. La diffusion est alors uniquement effectuée par la caisse de résonance. Il en est de même pour le piano hybride, qui assure d’un part la diffusion de sons électroniques par la table d’harmonie, sans utilisation de haut-parleurs, mais qui permet aussi, grâce à l’ajout d’un second clavier, un jeu différent et une transformation acoustique de l’instrument.
L’œuvre, en cinq mouvements enchaînés, comporte plusieurs axes de développement illustrant à la fois le cheminement de l’âme depuis le monde concret jusqu’à la mer, lieu de contact avec l’au-delà et les esprits dans la mythologie japonaise, tout en conservant l’aspect très codifié du rite originel avec ses moments bien définis, ses épisodes de redites ou au contraire ceux qui évoluent au fil des processions.
I - Les deux premières phases historiques du Mogari composent ce premier mouvement : le Tatari (崇り), la sanction divine ou coup de tonnerre, qui correspond à l’annonce du décès, évoque la stupeur de l’entourage et les premières lamentations qui interrogent les dieux; la seconde phase est le Tama-Yobi (Tamashī no sōki : 魂の想起), soit le rappel de l’âme. Ce temps est celui du rappel des actions du défunt et cherche déjà a gagner l’apaisement des dieux. Il se termine par les premiers chants des pleureuses.
II - Le Banka (挽歌) est un poème chanté, lent et triste, qui fait l’éloge du défunt. Il y a plusieurs « Banka » aux fonctions légèrement différentes. Dans ce second mouvement, il s’agit plus particulièrement d’un Nayo, c’est-à-dire un chant évoquant le parcours de l’âme de façon poétique. L’esprit du défunt doit évoluer lentement d’étapes en étapes pour gagner un état d’apaisement.
III - Ce mouvement central est le premier Asobu (du verbe 遊ぶ), une danse évocatrice et rythmée qui revêt elle aussi des caractères bien différents selon les participants. Pour apaiser le défunt ou la divinité responsable de ses malheurs on a recourt à un divertissement qui, tout en provoquant le rire et la danse, permet de chasser les ténèbres et de divertir les dieux. Sur une structure pulsée à 5 temps se construit donc un discours qui nous emmène irrésistiblement vers un état de perte de conscience, auquel se superpose progressivement le Banka n°2 au saxophone.
IV - Superposition de temporalités différentes : le Banka et l’Asobu; la danse s’éloigne pour que le chant triste s’élève à nouveau. Les motifs rituels qui parcourent toute l’œuvre sont ici plus clairement isolés.
V - Pour ce mouvement final, deux moments du rite sont également évoqués. Tout d’abord, l’Asobu n°2, dont le rythme percussif est contrarié par les motifs des vents, interventions qui évoluent rapidement pour mener au Tatefushi (盾伏す) final. Le Tatefushi, littéralement « coucher des boucliers » est un chant d’apaisement, gage du rétablissement de la paix après la période troublée du Mogari. Sa conclusion mène non seulement l’âme du défunt dans l’au-delà, mais doit aussi ramener la paix dans les esprits et dans le pays.
Saxophones
Percussions
Piano
Pages - 70